Parce qu'elle

 Parce qu’elle connaît ces âmes qu’on dit sans coeur et ces cœurs qu’on dit sans âme, Lyzane Potvin peint depuis des années les êtres vivants qui la traversent. Elle les aime tous, peu importe leur règne : animal, végétal, minéral et autres. Qu’ils soient microscopiques ou véhéments.
Avec les cycles Mes éventrées (2019), Mes petites amours (2020) et Mes détonatrices (2022), son corps danse. Elle chorégraphie, entre la nuit et la couleur, des appels lancés à la joie, à la détresse et à l’exaltation. Ils magnifient son amour des formes et du mouvement. Matière et manière se regardent, s’invitent et s’évitent, se précisent pour rendre l’autre, tantôt illisible, tantôt inaudible. Elle crie des vocables peints, crache de la peau, captent les surgissements. À ses pieds, des pétales de feu, tombés sur le sol de sa nuit, soutiennent l’invention de signes nouveaux. Les mains s’agrippent au visage, ses doigts tissent de nouvelles architectures, liens, tensions et réseaux bâtissent. La nudité se déchire. L’effroi se fracasse. Mais la cache, le repaire ou le masque sont illusions ici. Les regards sur nous portés vont au-delà de ce qui est ou sera scruté. Touché, palpé, étiré, arraché, à plat ou surélevé, le corps entier tient bon dans les interstices d’un temps et de son espace. Où est-elle dans cet alphabet qui écrit l’encerclement d’un ventre éventé ? En nous. Dans notre mémoire, là où chaque souvenir est le scintillement d’un pigment de peau.
Alors, en posant notre regard sur ces toiles, à l’image du berger d’Arcadie effleurant du doigt l’énigmatique inscription, les autres sens seront aux aguets. Ils percevront, dans la vitesse de l’émission, les nouvelles allégories de l’aventure humaine.
Mes petites amours en sont. De maculées elles deviendront progressivement recouvertes de blanc, de matière opaque, cocon propice à une mue mystérieuse et magique, peut-être chrysalide. Elle s’effectuera en vingt-six toiles, autant de jours et de lettres pour cette métamorphose. Le corps livre sa parole secrète, à la fois vœu et aveu. Malgré ses différentes poses, le corps, parfois démembré, cambré, étiré, arqué, offre l’apaisement du clair dessein. À la pulsion presque indignée des Éventrées, la maturité, la force tranquille et le focus atteint, psalmodient un chant à la fois solo et polyphonique. La femme que l’on voit raconte une histoire, peut-être la nôtre ; que nous soyons humains, insectes ou étoiles. Un cri s’échappe, le front coiffe la douceur d’un visage, des yeux fermés sont bercés par la naissance prochaine. Le recouvrement de la matière est aussi le palpitement d’un écran qui sa enregistre sa propre présence.
Ce seront Mes détonatrices. Femme-oiseau, bec, plumes, vols et virevoltes, giclée de rouge et d’impacts, proie et prédatrice, les directions se croisent et se toisent. Ce sera une autre danse, celle des totems et leurs narrations mythiques. Cosmogonies entraperçues, assumées, transformées par cette nuit nouvelle attirée par sa gravité. Figure hantée par la vie, elle accouche du besoin de naître au soleil, pour embrasser les sucs de la joie et les éclats de l’amour pur.  
 
Rober Racine
Montréal, 2023.